AYAHUASCA |
Un malentendu peut parfois prêter à dinattendues conséquences. Déambulant dans les rues dIquitos, je marrête devant un édifice qui attire mon attention. Jentre et regarde brièvement les tableaux autour de moi lorsque je tombe sur une photocopie qui propose un cours abordant lécosystème amazonien et les plantes médicinales. On parle aussi de maintenir et approfondir des visions mais ce point ne percute pas mon esprit. Je souhaite mieux cerner la relation entre les Indiens dAmazonie et la nature. Je ne peux dire pourquoi mais je pressens que ce cours pourrait satisfaire en partie cette attente. Scott, un américain mauvais point car on reste entre gringos me renseigne plus sur le Refugio Altiplano qui propose ce cours. Il en est le directeur. Je lui fais part de mes intentions . Il confirme que rester quelques jours dans son établissement peut me donner une bonne première notion du monde des indiens dAmazonie. Un peu plus tard, je montre la photocopie à Claude qui trouve ça ridicule et se moque gentiment de moi. Indécis, je nen parle plus. Le soir, nous rencontrons Virginia et Emma : deux jeunes et fort intéressantes américaines. Virginia enseigne langlais dans une communauté indigène, elle est au Pérou depuis plus dun an. La conversation est animée. Je glisse une allusion au Refugio Altiplano mais elle mavoue ne pas connaître. Le lendemain matin alors que nous rédigeons quelques nouvelles et textes à la terrasse dun café, Virginia et Emma passent devant nous. Etrange coïncidence, elles viennent de rencontrer Scott par hasard et semblent fort excitées à lidée de cette possible expérience, dautant plus si nous nous joignons à elles. Claude reste très sceptique mais écoute. Il va même interroger Scott. Cependant, il revient toujours aussi peu convaincu. Il a bien compris de quoi il sagit : prendre une substance hallucinogène, layahuasca, utilisée depuis des millénaires par certains indiens dAmazonie. Cependant le Refugio Altiplano nest pas une communauté indigène mais une offre touristique et un centre curatif plutôt destiné aux gringos. Ce point gène particulièrement Claude qui finalement préfère ne pas tenter lexpérience. Moi, je nai toujours pas bien compris, mais je reste intéressé et puis nous ne sommes pas à quatre jours près. Je décide donc de partir avec les filles dans laprès-midi. Après une heure de navigation en bateau rapide, nous parvenons au Refugio, complexe de quelques maisons en bois dans la jungle et une grande extension de terrain. Scott nous emmène dans la maison de cérémonie et nous explique le déroulement de la séance qui nous attend le soir, si nous le souhaitons bien sûr. Je prends soudain conscience de ma naïveté. Ce nest pas vraiment ce que je croyais mais bien comment Claude le pensait. Jhésite. Quest ce que layahuasca? Je nen sais que très peu à son sujet : boisson à base de plantes, aux pouvoirs hallucinogènes, utilisée depuis des millénaires par les Indiens dAmazonie à des fins festives, curatives et comme source de connaissance. Selon les interprétations, cest une drogue ou une médecine! Je suis parti en Amérique du Sud car je souhaitais rencontrer des gens qui ont une autre manière daborder la vie et la réalité. Je souhaitais aussi mexposer. Toutefois, il est tellement facile de replonger dans les rails imposés par notre culture. Jusque là, notre périple ma enseigné que nous, les occidentaux, vivions dans un monde relativement aseptisé, sécurisé et privilégiant à outrance la raison. Je suis maintenant placé devant une toute autre situation. Je nai aucune idée de ce qui mattend. Aucune connaissance livresque ou autre de monde des chamans, des indiens dAmazonie mais jai (peut être) loccasion de lexpérimenter sans repères préalables. Scott ajoute que cest une autre façon dapprendre. Ces paroles me décident. Je saurai plus tard que bon nombre danthropologues venus étudier ces peuples indigènes et ne progressant pas dans leurs recherches se sont vus répondre que sils voulaient vraiment apprendre, ils devaient absorber layahuasca. Première cérémonie La nuit tombe. Nous nous rendons dans le lieu de cérémonie. La pièce est ronde et spacieuse. Un banc en bois suit tout le périmètre de la pièce. Quelques tables sont disposées tout autour. Le centre est vide. Scott y place une bougie et allume une autre sur sa table. Ce sont les uniques sources de lumière avec les bouts de cigarettes incandescents. Nous nous installons comme bon nous semble. Un couple de chamans occupe déjà un espace mais nous les distinguons à peine dans cette semi-obscurité. Scott dirige la cérémonie. Lui aussi est un chaman. Après avoir prononcé une sorte de prière, il verse une dose dayahuasca dans une tasse. Il la prend et la place tout près de la bouche, la contemple quelques instants. Puis, il lavale dun seul trait. Il remplit alors une autre tasse. Son assistante, la seule que ne prendra pas la substance, va la tendre au premier chaman qui reproduit le même protocole que Scott. Une autre tasse est tendue au second chaman, la femme du premier. Puis à Virginia, Emma et enfin à moi. Nous copions les mêmes gestes observés auparavant. Le goût du breuvage est très amer et assez répugnant. Ensuite, Scott applique sur chacun des participants une sorte deau de Cologne et souffle dans les mains suivant un rituel précis. Je commence à me demander si tout ça est bien nécessaire... la drogue seule ne suffit-elle pas ? Cette cérémonie ne possède aucun caractère sacré. Nous savons que la séance va durer trois heures et que pendant tout ce temps le couple de chamans chantera. Je minterroge aussi sur lutilité de la musique. Scott éteint les deux bougies. Nous sommes maintenant plongés dans lobscurité. Rien ne se passe. Jattends. Puis le couple de chamans commence à siffler et chanter. Très peu de temps après Virginia qui a été servie la première, vomit. Quelques minutes plus tard, cest au tour dEmma. Je pense que ça va certainement bientôt être le mien. Mais non. Pourtant, je commence à me sentir légèrement vacillant. La musique maccompagne dans ce mouvement et je comprends son importance capitale. Je ne me sens pas très bien. Je ferme les yeux. Des images de dessins animés défilent très lentement devant moi. Lorsque jouvre les yeux, elles disparaissent. Je referme les yeux. Les images reviennent. Les couleurs ne sont pas particulièrement vives ou intenses. Les images défilent toujours aussi lentement. Ce sont toujours des images de type dessins animés japonais. Les formes se tordent et se distordent lentement. Lorsque jessaie den fixer une, elle disparaît pour laisser la place à une autre. Cest mon enfance qui défile devant moi. Ça dure même type dimages. Puis peu à peu, les images changent. Je vois des femmes, maman dabord puis ce sont des scènes plus ou moins érotiques. Jentre dans ladolescence. Jy resterai ! (je plaisante) Jai des visions certes. Mais rien de si intense, rien pour se faire des frayeurs ou bien planer. Je me sens aussi parfaitement lucide. Je me demande si la drogue agit vraiment. En revanche, elle agit sans aucun doute physiquement sur mon organisme. Son action se produit par étapes. Je me sens mal. Jai la nausée. Des poches de gaz se forment dans mon estomac puis éclatent. Virginia semble ne pas arrêter de vomir. Les chamans vomissent aussi parfois. Puis ils reprennent leurs chants et même se déplacent jouant du tambour comme si de rien nétait, apparemment. Moi je suis sur le point de vomir à quelques reprises mais je ny parviens pas. Dommage, jaurais certainement été soulagé. Je nai plus la même coordination gestuelle. Mes extrémités sengourdissent. Parfois je vérifie si je peux bouger. Oui. Les mouvements sont difficiles. Mais jai la certitude de pouvoir contrôler et me mouvoir si je le désire suffisamment. La musique menvoûte. Elle résonne dans toute la pièce mais aussi dans ma tête. Parfois je souhaite quelle sarrête. Lorsquelle le fait, je désire quelle reprenne au plus vite. Scott, vient vers moi me demande comment je vais. Il souffle du tabac dans mon dos et sur ma tête ce qui produit une agréable impression de chaleur. La fumée de tabac aide à catalyser laction de layahuasca me confie-t-il. Je reste perplexe. Finalement, je parviens à tout renvoyer juste avant la fin de la cérémonie. Scott rallume les bougies. Les filles sont inertes allongées sur les bancs. Je me lève mais vacille. Je peux marcher mais pas très droit. Scott me ramène au bungalow. Je me couche et essaie de dormir. Layahuasca comme source de connaissance. Nous nous retrouvons tous le lendemain matin. Manifestement, les expériences nont pas été les mêmes. Virginia narrête pas de répéter : ´´cétait si intense. Emma sest fait peur. Elle semble avoir perdu totalement le contrôle de son corps et de son esprit. Les images défilaient avec une incroyable rapidité et intensité. Elle a ouvert les yeux une fois et a vu Scott en géant. Toutes les deux ont eu peur que leur cur ne sarrête ou au contraire semballe, elles ont parfois eu limpression de ne plus pouvoir respirer. Elles ne pouvaient ni bouger ni même parler. Virginia a eu aussi toutes sortes de révélations quelle sévertue à formuler. Nous passons donc la journée à commenter et poser des questions à Scott. Ayahuasca : la boisson qui donne des visions. L'ayahuasca est une préparation à base de deux plantes : la Banisteropsis caapi et la Psychotris viridis. Son nom varie beaucoup selon les tribus (yajé est une autre appellation très connue). Ayahuasca est le nom quechua, formé à partir de huasca, la liane, et de aya, les esprits, les ancêtres disparus. On connaît aujourd'hui le mécanisme d'action de ce cocktail consommé sous forme de boisson : la Banisteriopsis contient un alcaloïde qui agit sur le système nerveux central. Seule, cette plante n'aurait cependant aucun effet, car son principe actif serait détruit par l'une des enzymes de l'appareil digestif. Les Indiens ont découvert que la Psychotris inhibait l'action de cette enzyme. Outre son rôle antidépresseur - elle stimule la production de sérotonine -, l'ayahuaasca provoque surtout des visions (mais reste inoffensif, semble-t-il, sur le plan physiologique, daprès Narby), qui varient d'une personne et d'une culture à l'autre, mais présentent certains motifs récurrents : «les vipères, même chez les gens de culture urbaine, et les villes, même chez des habitants de la forêt qui n'ont jamais vu une ville de leur vie», explique l'anthropologue colombien Luis Luna. (extrait de larticle de Courrier International) Pour préparer le breuvage, on fait macérer, bouillir puis réduire le mélange jusquà obtenir la concentration voulue. Sans cette rigoureuse préparation, les effets de la boisson sont inexistants. Comme le souligne Narby (Le Serpent Cosmique), la connaissance dune telle préparation (ou de bien dautres) est difficilement imputable à un heureux hasard. Comment donc les Indiens dAmazonie acquièrent-ils une telle connaissance des plantes et de leurs effets ? Si on leur demande, la réponse fuse. Ce sont les plantes elles-mêmes qui enseignent aux chamanes leurs propriétés ! Luis Luna a passé vingt-six ans de sa vie à étudier layahuasca. Il explique : «Sur les rives de l'Amazone, au Pérou, au Brésil et en Équateur, l'ayahuasca est une plante maîtresse. On l'utilise pour étudier les propriétés thérapeutiques d'autres végétaux : pour ce faire, on prend un échantillon de la plante à étudier, on l'ajoute à l'ayahuasca et on étudie comment varient les visions de celui qui ingère le mélange. On en déduit ensuite les utilisations possibles de cette plante». Les populations indigènes affirment qu'«avec l'ayahuasca elles entrent en contact avec l'esprit de la plante qu'elles veulent connaître : l'esprit se manifeste et leur dit à quoi elle sert». (extrait de larticle de Courrier International) Deux jours plus tard, nous renouvelons lexpérience. Emma ne se sent pas prête et ne prendra pas le breuvage. Virginia souhaite une dose plus faible car elle ne pense pas quelle pourra supporter une autre séance aussi intense que lautre soir. Je veux aller jusquau bout car il est fort probable que je ne reprendrai plus dayahuasca avant longtemps. Nous reproduisons exactement le même rituel. La boisson a toujours aussi mauvais goût. Les effets physiques sont toujours plus ou moins les mêmes. Mes visions ne défilent pas plus vite mais elles sont différentes. Dans un sens, elles sont plus réelles. Sans être intense, lexpérience devient intéressante cette fois. Il semble que beaucoup des personnes qui absorbent le breuvage pour les premières fois, ont des visions terrorisantes, éprouvent des sensations détouffements ou des palpitations. Tout au contraire, je néprouve aucune crainte malgré le mal-être physique. Je me sens serein. Mon esprit fonctionne beaucoup plus vite comme sil était dans un niveau supérieur. Cependant, je garde un parfait contrôle. Lorsque je le réalise, les visions disparaissent. Je nen ai plus besoin. Première révélation ou mieux défini, évidence qui arrive à ma conscience, si mon esprit ne part pas dans un voyage hallucinant malgré la drogue, cest que je ne le veux pas vraiment. Tout mon être résiste et garde un certain contrôle. De la même façon, je pourrais accepter de perdre tout contrôle. Par conséquent, la drogue nest pas absolument nécessaire pour atteindre des états supérieurs. Ensuite, je comprends aussi les Indiens qui prétendent acquérir leurs connaissances sur plantes, des plantes elle-mêmes. Les révélations que jai eues répondent à mes inquiétudes-questions-centres dintérêt. Je suis bien conscient quil ne faut pas prendre les évidences qui marrivent à lesprit comme des vérités absolues mais bien comme des pistes, des intuitions quil sagit ensuite de travailler à tête reposée si jose dire. Pour revenir aux peuples indigènes dAmazonie occidentale, la valeur de leur connaissance des plantes médicinales est indiscutablement et officiellement reconnue depuis le Sommet de la Terre qui s'est tenu en juin 1992 à Rio de Janeiro pour évaluer les risques environnementaux qui pèsent sur la planète. A Rio, on a décrété l'importance du savoir des peuples indigènes; les gouvernements du monde ont signé des accords affirmant leur volonté de rémunérer ce savoir "équitablement". Or, rien n'a changé depuis. La propriété intellectuelle des peuples indigènes demeure sans protection, et ceux qui l'exploitent ne sont pas pressés de voir évoluer la situation. On évacue la question en disant qu'il y a d'autres priorités ou que les Indiens pourront se contenter de ce que telle compagnie pharmaceutique voudra bien leur offrir commente Narby dans un entretien paru dans le Temps stratégique. Le problème reste donc entier. Dun côté, la mondialisation est un phénomène inévitable. Jusquà présent, elle privilégie le marché mondial, les intérêts financiers et les intérêts dentités privées. De lautre, dans la conception traditionnelle du chamanisme, le savoir sur les plantes nest pas monnayable selon les règles du marché mondial actuel. En effet, sil est utilisé à des fins personnelles cela devient de la magie noire. De plus, les occidentaux ne semblent pas non plus prêts à se faire enseigner par une autre culture qui a une autre manière dappréhender la réalité. Surtout lorsque celle-ci tire sa connaissance dune substance hallucinogène! Dans ce contexte, ce sont les autres richesses de lAmazonie qui sont exploitées pour le moment : bois, minerai, pétrole. Cette exploitation ne se produit pas sans dommage ni sur le milieu naturel, ni sur les populations indigènes. A ce rythme, forêt et Indiens dAmazonie sont grandement menacés. Il sagit de réagir : non seulement de les protéger, mais aussi de leur donner les moyens de revitaliser leurs traditions et leurs cultures. Si ce nest au nom du droit à la différence, à la diversité, faisons le tout au moins dans notre propre intérêt. Benoît Pironneau Voici quelques sites qui approfondissent les thèmes de layahuasca, du chamanisme et autres : |